Enseigner, mon passage de la théorie à la pratique.
Désolé, je sais que cet article est trop long. Je l’écris sans doute plus pour moi qu’autre chose, pour garder une trace, comme dans un journal intime. C’est une expérience émouvante pour moi.
Un peu de contexte
Je baigne dans le monde de l'éducation depuis un peu plus de 8 ans.
J’ai lu beaucoup sur l’apprentissage de la lecture pour travailler à la construction de Lalilo.
J’ai beaucoup lu sur les pédagogies alternatives sur mon temps libre.
J’ai passé un peu de temps en tant qu’observateur dans des salles de classes (quelques demi-journées par an), principalement en primaire.
Je me sens plutôt à l’aise à l’oral.
Mais attention, je n'ai presque pas enseigné directement. Une centaine d’heures à tout casser.
Quelques interrogations en classe préparatoire (des “khôles”)
quelques cours particuliers de tous niveaux
2 semaines de remplacement en classe de CP il y a 8 ans.
Le grand saut
J'ai franchi le pas, j'ai postulé pour être prof de maths, sciences physiques, chimie et SVT dans un collège privé hors contrat, dans une classe multi-niveaux de 12 élèves allant de la 6e à la 4e, avec deux élèves en situation de handicap (de l’âge d’être en 3ème mais avec un niveau scolaire correspondant à de la primaire). L’établissement lui-même mettant en valeur l’éco-citoyenneté et le savoir-être.
J’ai adoré cette offre peu orthodoxe.
En ce qui concerne le multi-niveau :
Pendant les vacances, j’ai lu un livre de Bernard Collot, présentant son école du troisième type (une école sans horaires, sans leçons, sans cahiers, sans programme, sans évaluation, ouverte en permanence aux parents, à d'autres adultes pendant et hors du temps scolaire, y compris pendant les vacances). Il explique qu’il n’aurait sans doute pas pu arriver à ce niveau d’innovation pédagogique s’il n’avait pas eu une classe unique (de la petite section au CM2) où il est tout simplement impossible d’enseigner de façon traditionelle.
En ce qui concerne le transdisciplinaire :
Je suis convaincu de l’intéret du transdisciplinaire à la fois pour l’enseignant et pour les élèves. Cela permet aux élèves de faire des connexions entre différentes matières et de voir comment elles se complètent. De plus, cela peut stimuler leur curiosité et leur créativité en les encourageant à explorer des questions complexes sous différents angles.
En ce qui concerne les deux élèves en situation de handicap :
La richesse d’une éducation inclusive du handicap est une leçon de vie sociétale pour toutes les parties prenantes.
En ce qui concerne les valeurs de l’établissement :
Ecologiste engagé (à mon petit niveau), je partage pleinement l’idée que notre rôle en tant qu’enseignant est de préparer la génération qui vient en particulier à prendre soin de notre environnement. Je suis également convaincu que l’enseignement doit relier l’intellect, les émotions et le corps, ce que l’établissement promeut (j’en parle un peu ici).
D’une manière générale, je trouvais cette proposition parfaite pour une première expérience, en particulier par ses contrastes avec une expérience plus “traditionnelle”.
Soit dit en passant, j’avais candidaté pendant l’été en tant que professeur de mathématiques suppléant dans l’académie de Paris. J’y ai passé (avec succès) un unique entretien le 11 septembre, mais le processus administratif n’est pas fini à l’heure de l’écriture de cet article (mi-octobre).
La première heure de cours
La directrice m’a encouragé à commencer par un cours d’une heure sur les volcans.
J’ai passé 5 heures (de train) à le préparer.
J’ai d’abord passé une heure à me (re)-renseigner sur les volcans 😄 (et oui, ça datait un peu pour moi).
Ensuite, plein de bonne volonté, je voulais avoir une approche pédagogie “en puzzle tout en initiant mes élèves à la démarche scientifique. Après une brève introduction sur le volcanisme, je leur ai présenté le Piton de la fournaise. Trois questions, trois groupes de 4 élèves :
Le piton de la fournaise est-il explosif ou effusif ?
La taille du volcan at-elle un impact sur sa dangerosité ?
Quelles risques et quels moyens de prévention pour la population locale ?
Je me suis rédigé une belle fiche de séance et j’ai préparé 3 dossiers pleins d’informations pour répondre aux questions scientifiques.
Première surprise en arrivant (trempé par la pluie), une élève vient me voir et m’explique “I have to underline that I REALLY don’t speak french”. J’avais sous-inerprété l’information de la directrice “il y a une élève qui prend des cours de Français Langue Etrangère”.
Me voulant fidèle aux valeurs de l’établissement (que je partage), j’ai commencé la séance en demandant aux élèves de fermer les yeux et de se concentrer sur les émotions que leur suscitaient les volcans. Espérant enchaîner sur le thème de ma séance : “à quel point les volcans sont-ils dangereux ?”.
Deuxième surprise : tous les sentiments exprimés étaient positifs 😂
Troisième surprise, dans chaque groupe de 4 élèves, seuls 2 étaient entrés dans l’activité.
Belle surprise pour la fin, les élèves me harcelaient de questions sur les volcans :
“Si une ville est rasée par un volcan, est-ce qu’il faut la reconstruire au même endroit ?”
”Je ne sais pas, tu en penses quoi ?”
Deuxième cours, sur les nombres relatifs cette fois
A nouveau 1h de préparation passée à regarder des youtubeurs expliquer les nombres relatifs.
Grosse erreur, j’ai exécuté en 1h30 ce qui aurait dû durer 2h.
C'était très gênant de devoir meubler pendant 30 minutes. Je me demande si les élèves s'en sont rendu compte.
J’ai profité de ce cours pour faire une évalutation diagnostique assez large. ChatGPT a été excellent pour m’aider à créer des questions adaptées à chaque niveau de classe.
J’ai expliqué un peu la didactique des mathématiques (l’enseignement est spiralaire, on essaye d’aller du concret vers l’abstrait, les évaluations servent à se repérer et à se former)
Je me suis également rendu compte que la présence d’un autre adulte dans la salle de classe n’était pas anodin. Je sais bien que beaucoup d’enseignants sont très gênés par la présence d’un autre adulte. Mon passage de la théorie à la pratique m’a fait ressentir la même chose. Il y avait une AESH dans la classe. Franchement adorable. C’est pourtant vrai que quand j’ai un doute sur ce que je dis devant les élèves, je croise les doigts pour qu’elle n’en soit pas choquée !
Troisième journée
Le troisième jour de cours, je faisais les “deuxièmes séances”, à la fois sur les volcans et sur les nombres relatifs.
Deux innovations:
Plickers :
Les élèves ont adoré utiliser ce système de QCM pour répondre à mes questions. Pour moi, c’était un moyen très pratique pour être sûr d’avoir recentré tout le monde sur mon activité toutes les 5min et de m’assurer d’avoir inclu tout le monde. Par exemple, si l’élève non-francophone n’avait pas répondu, je me rappelais qu'il fallait lui traduire la consigne.
En demandant à mes élèves ce qu’ils voulaient apprendre en mathématiques, la seule réponse qui a fait consensus était “on veut apprendre de nouvelles choses”. De plus, je leur avait affirmé qu’il y avait deux bonnes raisons pour faire des mathématiques, parce que c’est utile et parce que c’est plaisant (il y a une forme d’émerveillement intellectuel). Mes élèves étaient (étrangement) très sceptiques quant à ce deuxième argument.
J’ai donc commencé mon cours en leur parlant de “l’infini”, une notion clairement hors-programme, qui ne s’étudie que dans le superieur.
Je crois que je n’ai jamais perçu plus d’intéret pour mon cours que pendant les quelques minutes que j’ai passé sur ce sujet.
(Merci Amine pour l’idée ;)
J’ai également fais la surveillance de la récrée, sur le temps du midi. Une experience qui m’a apporté une multitude de détails pour comprendre la sociologie de ce groupe classe
.
Quelle suite ?
Pour ma deuxième semaine, fini les volcans. On va passer à l’électricité (mon dada, plus que les volcans). J’ai déjà prévu de les emmener devant le tableau de bord électrique du bâtiment et de leur faire refaire le schéma électrique du collège tout en abordant (par l’expérience) la notion de circuit en série et en dérivation. (chut !)
On va finir les nombres relatifs et renforcer les fractions (aspect flagrant de mon évaluation diagnostique).
Je suis frustré de ne pas encore avoir mis en place de système de tutorat entre les élèves. Alors que je suis convaincu par le “learning by teaching”, je me rend compte qu’une petite voix dans ma tête a l’impression d’exploiter les bons élèves… Encore un écart entre ma vision théorique et ma pratique (que j’espère bien combler) !
Il y a des changements que j’aurais du mal à porter depuis ma place d’enseignant. J’ai hâte de mettre sur pied le collège Nova pour porter encore plus loin l’expérience éducative des élèves.
Pour finir, je me creuse la tête sur ce que je peux faire découvrire à mes élèves à la suite de l’hôtel de Hilbert, si vous avez des idées, je suis preneur !
Si vous vous posez des questions sur le collège pour vos enfants, j'aimerais apprendre à mieux vous connaître, et éventuellement échanger avec vous. Vous m'aideriez beaucoup en remplissant ce petit questionnaire.
Chouette de te voir détailler tes pérégrinations pédagogiques ! Un peu à la Korczak !
Super ce grand saut. Merci du partage. J'adore la démarche d'investigation qui t'anime. La base selon moi. Prêt à échanger avec toi sur le Learning by teaching (tu as mon email). D'ailleurs si tu veux un accès eduMedia, la meilleure des ressources num pour les profs de SVT, sciences ... juste demander